Espérance 27 le mag

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Chaud devant, théories du complot en vue !

Didier Desormeaux, journaliste et responsable du département information et édition multisupport à l’université France Télévisions était l’invité du réseau Canopé et de la médiathèque d’Evreux, le 6 mars dernier. Il est égalemement le co-auteur, avec Jérôme Grondeux du livre « Le complotisme : décrypter et agir ». Ce rendez-vous était l’occasion d’évoquer un phénomène d’ampleur sur le net, les vidéos et articles véhiculant des théories du complot. Didier Desormeaux se proposait de donner quelques clés pour repérer les stratégies mises en place pour propager des informations fausses et quelques réflexes simple à adopter.

 

 

Le complot du chat (une vidéo géniale de chats trop mignons !)

Gilets Jaunes et remise en cause de la profession

Le péché originel

Une faillite éditoriale

La toile, le paradis des théories du complot

Le cercle vicieux des algorithmes

Le direct, preuve de vérité ? (avec une vidéo réservée aux adultes qui n'ont pas froid aux yeux !)

Des images, oui mais pour dire quoi ? (une vidéo d'une visite en Russie folklorique)

Des outils pour lever les doutes (s'il n'y a qu'une chose à lire, c'est celle-là !)

 

Zoom

Selon votre tendance politique vous serez plus ou moins sensibles aux théorie du complot

Carte de presse et liberté de la presse

 

Le complot du chat

Pour mettre directement l’assistance dans « le bain », Didier Desormeaux a partagé une vidéo de quelques minutes intitulée sobrement « le complot du chat ».

 

 

 

Si la vidéo prête à sourire, elle procure également un léger malaise quand on constate qu’il est si facile de produire une vidéo de qualité au contenu mensonger.

« On se laisse embarquer par la narration et on se dit « pourquoi pas » souligne Didier Desormeaux. Avec Jérôme Grondeaux, lors de la rédaction de notre livre, nous avons visionné de nombreuses vidéos autour du complotisme. Les vidéos comme celle que nous venons de voir sont les moins dangereuses ». Croire que des extra-terrestres on pris une forme féline pour dominer les humains ou penser que la terre est ronde est sans grand danger finalement.

 

« En revanche, ce qui nous a fait peur, c’est tout ce qui a émergé autour de « Charlie hebdo ». Le complotisme prend d’autres formes depuis deux ou trois ans » s’inquiète le journaliste. 

Il faut noter, parmi ses théories, celle désignant la profession de journaliste comme complice du pouvoir.

 

Gilets Jaunes et remise en cause de la profession

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@Thomas Bresson

 

Une idée persistante qui s’est traduite par des violences sur des journalistes au cours des manifestations des Gilets Jaunes. Une véritable remise en cause des journalistes et des médias. Didier Desormeaux s’est rendu dans de nombreux pays qui avaient connu un gouvernement répressif. « Mon travail consistait à construire une presse libre ». Des missions qui l’ont confronté à des situations extrêmes. « Voir des journalistes agressés en France, je pensais que cela n’arriverait jamais !  (...) les journalistes qui ont vécu ses agressions, parfois tout juste arrivés dans le métier, ont été très secoués et non pas compris. » une onde de choc qui a provoqué nombres d'interrogations au sein de la profession.

 

Le péché originel

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« Pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir en arrière. En France, la presse souffre d’un péché originel »  explique Didier Desormeaux.

Dans notre pays, jusque’à la Renaissance, la presse est proche du pouvoir, à quelques exceptions près. C’est avec Les Lumières qu'apparaît l’idée que la démocratie nécessite que chacun soit informé grâce à des relais d’idées, un relai qu’assumeront logiquement les journaux.

 

Au 19e siècle, les tirages des journaux sont phénoménaux avec des millions d’exemplaires. A côté des journalistes, on peut lire des Grandes Plumes associées : Hugo, Lamartine…

Avec pour conséquence d’associer, en France, le journalisme à une activité politique et littéraire et non comme un métier à part entière. Etre journaliste est d’abord un engagement avant d’être un métier aux yeux de la population.

 

Pourtant, la presse s’est structurée, souvent après de grands bouleversements historiques. Ainsi en 1918 en France, la charte déontologique du journaliste est rédigée. Et en 1945, l’ONU établit les droits de la presse. Mais la méfiance demeure dans la population. On accuse toujours la presse d’être aux service des puissants.

« C’est une situation française. En Angleterre, la population est très attachée aux médias. Les journalistes sont là pour défendre les citoyens, ils sont perçus comme une contre-administration. » compare Didier Desormeaux.

 

Une faillite éditoriale

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Un autre phénomène intervient qui brouille un peu plus les cartes. « Jusqu’en 1989, les titres de presse sont très marqués, on a une presse d’opinion » rappelle Didier Desormeaux. Puis les choses se sont dégradées pour des raisons économiques, parallèlement à une évolution du contexte géopolitique qui devient de moins en moins polarisé, plus homogène et donc plus complexe à appréhender. 

« La presse s’est, en quelque sorte, dissoute dans l’idée qu’il fallait simplement relater des informations et la notion d’analyse a disparu, résume Didier Desormeaux. Les journalistes se sont peu à peu effacés pour laisser la place à des experts, créant une sorte de faillite éditoriale. » 

 

A cela est venu s’ajouter l’apparition des « gratuits ».  

Autant d’éléments qui éclairent la situation actuelle, la défiance de nombre de citoyens vis à vis de la presse française.

Alors que la presse représente le quatrième pouvoir indépendant au même titre que le pouvoir exécutif, judiciaire et le parlement/le sénat, le citoyen se sent souvent écrasé par ces quatre pouvoirs qu’il imagine être "de mèche". 

 

La toile, le paradis des théories du complot

Il y a toujours eu des théories du complot, certaines sont très anciennes. Mais les technologies comme Internet ont décuplé leur diffusion. La chute des tours jumelles du Word Trade center, en 2001, a fait émerger les premières théories du complot massivement véhiculées par internet. 

 

Autre spécificité des théories du complot, elles sont souvent véhiculées au travers d’images. 

« On parle avec raison de la puissance de l’image. Elle est universelle, se partage sur toute la planète,  est comprise instantanément et possède un fort pouvoir émotionnel. Sa puissance est incontrôlable » constate Didier Desormeaux. 

 

A cela s’ajoute la multiplication des smartphones  qui offrent des possibilités de post-production de grande qualité  à moindre coût…

« Récemment encore, il était inimaginable pour des journalistes d’incorporer des images d'amateurs dans un reportage. C’était presque un interdit » se souvient, amusé Didier Desormeau. Maintenant les images  et les films amateurs de qualité circulent par d’autres canaux et les personnes qui les ont prises se moquent qu’elles passent à la télévision. Il devient impossible de faire la différence entre des vidéos « d'amateurs » et professionnelles » et les plateforme de diffusion se dégagent de toutes responsabilités.

 

Tous les ingrédients sont réunis pour favoriser la propagation de vidéos et la fréquentation de sites relayant des théories du complot. La plupart fonctionnent sur le schéma « vous ne comprenez rien parce que une élite (les Franc-maçonnerie, les Chinois, à compléter au choix etc…) fait tout pour que vous ne compreniez pas ». Les institutions, y compris la presse, jouent le rôle des « serviteurs » des « élites ».

 

Malgré cette défiance, les sources d’information « traditionnelles » résistent. Ainsi, selon un sondage, 47 % des personnes citent la télévision comme première source d’information, 28 % le web et seulement 7 % les journaux. Sur le web, les utilisateurs se tournent d’abord vers les grands médias (36 %), puis les réseaux sociaux (33 %), les portails d’information (google actualité…) à 27 % et les plateforme de vidéos à 4 %.

« La télévision a encore de l’avenir mais elle n’est pas regardée par les jeunes » complète Didier Desormeaux.

 

Le cercle vicieux des algorithmes

Quand vous commencez à chercher une vidéo sur un thème, les algorithmes utilisés dans le moteurs de recherchent vont faire des propositions de contenus proches, enfermant l’Internaute dans la consultation de documents identiques, contenant des informations exactes ou erronées. « J’ai été une grande victime de ce phénomène quand j'ai écrit mon livre sur les complots » s’amuse Didider Desormeaux.

 

Le direct, preuve de vérité ?

Le direct est alors apparu comme un moyen de "prouver" l'information, un moyen de ré-information. Mais cette idée présente de nombreuses lacunes.

« Au cours d’un direct, on a aucun recul. Si on survalorise le direct, le travail de journaliste et d’éditorialiste devient inutile » note Didier Desormeaux.

 

Ainsi, le direct peut être utilisé pour renforcer l’idée qu’il existe un complot, que des informations sont cachées au public. La mise en scène est toujours la même, un « journaliste » veut participer à un événement et se voit refoulé et parle donc devant des portes closes. C'est la (seule) preuve du complot et le spectateur, déjà acquis aux convictions du média, sera renforcé dans ses convictions. Seulement, ce refus d’accès peut-être orchestré par le « journaliste » lui-même pour renforcer ses propos. C’est un peu le principe dévoyé du lanceur d’alerte.

Un exemple par ici avec Vincent Delapierre.

 

 

 

 

 

 

Vincent Lapierre se fait refouler devant le lieu ou se déroule le diner du Crif et crie au scandale. Vingt minutes de "reportage "  (dont deux minutes consacrés à écouter des propos sans queue ni tête) dont on ne connait ni le but exact, ni les propos/sujet précis qu'il visait à illustrer. Vincent Lapierre savait qu'il ne rentrerait pas dans le lieu de réunion, qu'il n'arriverait vraisemblablement pas à interpeller les participants. Il se plaint finalement  de ne pouvoir filmer l'extérieur, ce qui n'aurait servi à rien. Il utilise son "refoulement" comme une "preuve"... Mais de quoi  ? Des petites précisions sur les propos très approximatifs en fin de reportage.

 

« La vidéo que je vous ai montrée toute à l’heure sur « le complot du chat » est presque « old school » note Didier Desormeaux. C’est le  principe de la ré-information par le direct qui est très en vogue maintenant ». 

 

Des images, oui mais pour dire quoi ?

Ce court film de Chris Marker, qui date de la fin des années 1950, illustre très bien le pouvoir des images et la façon dont on peut leur donner de multiples interprétations (rapprochez ce procédé de la vidéo de Vincent Delapierre).

 

 

Finalement, quels propos sont étayés par des faits, des chiffres, des données mesurables ? Quelle information  précise et réelle est transmise ? Aucune.

 

 

Des outils pour lever les doutes

Autre méthode très utilisée pour propager les théories du complot, le détournement d’images et de vidéos. Altérations, réutilisations de vidéos et d’images sont un véritable fléau. Pour s’en prémunir, des outils existent.

 

Pour les images, il existe des fonctions Google et un outil appelé Tineyes (www.tineye.com) qui permettent de retrouver les origines dune image et sa version originale. Voici des modes d’emploi en vidéo ici.

 Il suffit d'enregistrer l'image ou de faire une capture d'écran et de télécharger l'image pour faire une recherche. (Pour Google, allez dans "images" puis cliquez sur l'icône "appareil photo").

 

 

 

 

 

Même chose pour les vidéos  avec InVID. Le mode d'emploi :

 

 

 

 

 A l’heure d’Internet et du numérique, il n’a jamais été aussi facile de propager des fake news et des théories du complot. Pourtant, il n’a jamais été aussi facile de vérifier les informations : quelques outils simple d’accès et un peu d’esprit critique et de bon sens suffisent. A nous d’adopter les bons réflexes et de les enseigner autour de nous.

 

 

Légendes urbaines et autres arnaques
Pour édifier la véracité des informations en tout genre : chaîne de solidarité, arnaques, etc…  il existe l’excellent site : www.hoaxbuster.com

 

 

Selon votre tendance politique vous serez plus ou moins sensibles aux théories du complot

Didier Desormeaux explique : « On a étudié la popularité de la théorie du complot concernant l’attentat de Strasbourg en fonction de la sensibilité politique des personnes ». On constate que les personnes les plus sensibles à cette théorie d’un complot sont aux extrémités de l’échiquier politique. 

« C’est le militant d’extrême droite ou d’extrême gauche pour qui les élites sont partout, alors même qu’il y a un malentendu sur la notion d’élite. De quoi parle-ton précisément ? » précise le journaliste.

Et on arrive à une situation folle avec Donald Trump qui renverse la situation en prétendant lutter contre des fake news alors qu’il les propage…. 

Et c’est ainsi que des sites comme Infowars (un million de visites par jour !)  fondé par Alex Jones  ou lemediapourtous fondé par Vincent Lapierre rencontrent un public toujours croissant.
Carte de presse, droit à l'information...

Nombre d’événements et de rencontres, pour des raisons d’organisation et de sécurité, ouvrent leurs portes aux journalistes qui ont demandé une accréditation. Cette demande doit être faite au préalable pour permettre une vérification des identités. Sans accréditation, vous ne rentrez pas. Cela n’a rien d’un complot. Quant à ce qui est dit sur la carte de presse par Vincent Lapierre, ce n’est pas un simple avantage fiscal, mais bien une reconnaissance (peut-être imparfaite) du statut de journaliste. 
Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste est contenu dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française. Cela ne donne pas le droit à n'importe quelle personne qui brandit un stylo, une feuille ou un micro d'entrer partout où il le souhaite.


08/03/2019
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