Espérance 27 le mag

Espérance 27 le mag

Les vikings, des commerçants avant tout !

Hippodrome de Navarre, Fêtes Normandes, dimanche matin, 10 h 45, nous sommes à peine dix dans le petit coin réservé aux conférences, dans le chapiteau abritant « L’épopée Viking ». Nous attendons que débute la conférence sur le thème « Les Vikings commerçants et marchands ». Le programme n’annonce même pas le nom de l’intervenant et tout d’un coup le doute me prend… Que suis-je venue faire ici un dimanche matin pluvieux ? Mais par loyauté envers ma centaine de lecteurs, je décide de rester. Bien m’en a pris, j’ai passé un moment passionnant. L’intervenant arrive rapidement, et il a une façon ludique de parler des vikings. Eric est normand, une trentaine d’années, impliqué dans plusieurs associations visant à faire découvrir la culture scandinave à l’époque des vikings, il est notamment président de l’association « Sur la Route de Byzance ». Ses connaissances sur le sujet sont étendues et il sait faire partager sa passion.

Erik Ödelinson

Pour nous parler des talents de navigateurs et de commerçants des Vikings, Eric a choisi de rentrer dans la peau d’Erik Ödelinson, personnage fictif, et de nous raconter sa vie de commerçant entre la fin du neuvième siècle et le début du dixième siècle.

 

 

Mais avant de dérouler ce récit, commençons par une précision d’importance. Les vikings ne forment pas un peuple à part entière. Ils représentent environ 5 à 7 % des populations scandinaves. Ce sont des marchands qui utilisent des techniques de pillage et de piraterie dans le but d’acquérir des richesses. Ils sont souvent motivés par une mauvaise récolte, un besoin pressant d’argent. L’âge d’or des Vikings s’étend de 750 à 1050.
« Nous avons l’image de hordes de guerriers sanguinaires détruisant tout sur leur passage mais c’est n’est pas la réalité, souligne Eric. Les témoignages de l’époque dont nous disposons ont été rédigés par des moines, parfois des années après que les faits se soient déroulés. Et les moines avaient un peu les mêmes travers que les journalistes d’aujourd’hui, en exagérant les choses (ndlr : et toc, prends toi ça dans les dents Laetitia ;o)… mais vous noterez tout de même que je rapporte les propos tels quels). Les vikings n’usaient de la force que quand ils ne pouvaient acquérir autrement des richesses convoitées et s’arrangeaient pour attaquer, en petits groupes, par surprise, par exemple pendant la messe. Ils évitaient les batailles rangées et lorsqu’ils y étaient contraints, ils étaient battus à chaque fois. »

 

Si les Vikings utilisaient la force en cas de besoin lors d'attaques surprises, ils évitaient les grandes batailles qu'ils perdaient le plus souvent.

 

Ces précisions faites, laissons la parole à Erik Ödelinson.
« Je suis né en 882, sur une île du lac Mälar, proche de Birka ». Birka est l’une des premières villes de Suède, active entre 750 et 950. Elle se trouvait sur l’île de Björkö, à trente kilomètre à l’ouest de Stockholm. A l’époque, le lac Mälar est une baie de la mer Baltique, le niveau de la mer étant plus haut. « La région a un fort attrait commercial et l’île de Birka, à la croisée de plusieurs routes maritime, accueille jusqu’à une population de 900 personnes, ce qui est considérable ! »

Le commerce de l’ambre

« Je vis dans une famille plutôt aisée de commerçants. Nous possédons quelques esclaves, des terres, du bétail. Nous tirons nos revenus du commerce de l’ambre, très présent au bord de la mer baltique, bordée de forêt de conifères. » A cette époque l’ambre est utilisé pour fabriquer des bijoux mais il a aussi son utilité dans la pharmacopée. « En 898, j’ai 17 ans. J’ai appris les rudiments du commerce et mes parents me donnent un petit stock d’ambre pour que je m’essaie au commerce par moi-même. C’est une pratique courante de donner l’occasion à quelqu’un de créer des richesses par lui-même. Je décide de traverser la Mer Baltique en direction de ce que vous appelez la Pologne. Là-bas, les choses fonctionnent bien pour moi et je fais de beaux bénéfices que j’utilise pour acheter des produits rares : des bijoux, de la verrerie. C’est là que j’entends parler de Miklagärd, « La Grande Ville » dans notre langue, ou Byzance ».

 

 

« On me fait le récit d’un voyage périlleux, de plusieurs fleuves à traverser, de territoires dont les peuples sont hostiles. Les marchands qui en reviennent sont riches, notamment grâce au commerce de la soie. Moi aussi je veux tenter l’aventure, entreprendre ce long voyage, me lancer vers l’inconnu et voir de mes yeux Miklagärd ! »
 
Rentré à Birka, Erik réunit plusieurs amis. Ensemble, ils constituent un felag. Un felag est une sorte de communauté de biens. Chacun finance l’expédition commerciale et sera rétribué, au retour, à hauteur de son apport.

Vers Byzance !

 

Dans les cales du drakkar, des noix, des noisettes...

 

« Nous attendons le printemps pour partir. Dans les cales, du miel, des noix, des noisettes, des fourrures. Nous traversons la Mer Baltique, descendons le Dniepr jusqu’à la Mer Moire et à Miklagard. Mais avant d’arriver à destination, nous avons parfois dû sortir le drakar de l’eau, car les fleuves ne sont pas toujours navigables ! Et puis, nous avons fait la rencontre des Petchenègues qui font également commerce de fourrures. Inutile de vous dire que nous nous sommes affrontés ! »
Les Petchenègues sont un peuple nomade d'origine turque qui apparait au huitième siècle à la frontière sud-est de l'Empire khazar (approximativement situé entre la Mer Noire et de la Mer Caspienne et au nord de ces deux mers). Ils s'installent au dixième siècle au nord de la Mer Caspienne.
« Nous avons aussi capturés quelques esclaves en route, une marchandise précieuse, qui a l’avantage de se déplacer par elle-même ! »
L’arrivée à Miklagärd a été indescriptible. C’est un centre économique important à cette époque où se croisent de nombreuses nations. Le commerce avec les vikings et les Varègues, n’a pas toujours été facile et Miklagärd contracte ainsi des accords commerciaux pour assurer une relative paix. Il faut dire que les Vikings n’hésitent pas à user de filouterie et de la force en cas de besoin alors que les Varèques* sont plutôt des commerçants au sens traditionnel où on l’entend aujourd’hui.

 

La parure des femmes de vikings est une forme d'investissement et une façon de montrer sa réussite.

 

« J’emporte partout avec moi ma balance portative. Quand je négocie avec un autre commerçant, nous devons comparer nos unités de mesure au préalable. Parfois, pour effectuer un paiement, je coupe une pièce de monnaie, un morceau de bijou pour parvenir à la somme juste à payer. J’achète en priorité des épices, du sel, de la verrerie et des lingots d’acier. Nous sommes de très bons forgerons mais notre acier est moins riche en carbone et les épées que nous fabriquons chez nous sont plus cassantes. L’acier d’Afghanistan et d’Iran est de meilleur qualité. J’achète aussi de la soie, celle provenant de Chine est la plus fine, la plus légère et la plus ouvragée. Des bandelettes de soie peuvent, à l’occasion, servir de moyen de paiement. Certains vendeurs ne comprennent pas pourquoi j’achète des perles de verre pour les offrir à mon épouse. Mais c’est pour moi un investissement. En cas de besoin, je pourrai toujours les revendre. Et en portant des parures de perles et de métal, ma femme montre ma richesse et ma réussite ! Avec mes amis, nous rentrons à l’automne. Ensuite, nous vendons au plus vite nos marchandises mais sans oublier de faire de confortables bénéfices ! »
Les vikings n’entreprennent pas tous un tel périple. Dans le cas de trajets plus courts, ils commercent plutôt du bois, de la laine par exemple.

Copier les élites

 

 

« Au cours de mon voyage, je me familiarise avec les langues locales, les religions. Ce sont des connaissances indispensables dans le négoce. Mon vêtement adopte des éléments des tenues des élites des pays que je traverse. C’est une façon de montrer ma propre réussite sociale à ces peuples. Je porte ainsi un caftan, une veste ouverte qui copie une tunique fermée portée par les élites de Byzance. Je l’ai agrémenté de bandelettes de soie. Les appliques de ma ceinture rappellent celles des riches arabes. Je porte également une croix autour du coup qui rappelle un crucifix mais, retournée pourrait tout à fait faire penser à un marteau de Thor ! Si besoin, je pourrais très bien renier ma religion. Pour moi, tous les moyens sont bons pour arriver à mes fins… Et puis, il faut savoir vivre avec son temps ! »
C’est ainsi que s’achève le récit d’Erik Ödelinson.
Eric conclut son exposé en soulignant que les Vikings, s’ils ont usé de violence (ce qui n’était pas inhabituel à cette époque), n’ont jamais imposé leur religion à d’autres peuples. Les Vikings, conquérants, remarquables commerçants et navigateurs se sont rapidement déculturés puis acculturés là où ils se sont installés. Et aujourd’hui, on ne retrouve leurs traces que dans la typologie des lieux.
 
Laetitia Brémont
 
* ndlr : Un certain flou semble régner sur les Varègues, aussi définis comme des Vikings voyageant vers l’est, vers ce qui deviendra Saint-Petersbourg et le lacis des fleuves et lacs russes.
 
Retrouvez Eric et Erik dans un portrait croisé sympathique ici.
 


09/10/2018
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Actualités locales pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 42 autres membres